Wing suit et F1... des amateurs et des pros

[Mazuer Ben]

Bon base à tous,

Je vais vous raconter une histoire. Une histoire qui m'est arrivée il y a déjà quelques années, du temps où avec mes potes on inventait pas mal de truc dans cette activité de base jump et de wing suit, du temps où... bref, rien n'a vraiment changé aujourd'hui et nous sommes tous encore maintenant des sortes de "pilotes d'essai" en faisant ce genre d'excentricité.
Nous étions partis à Baffin pour passer des vacances à la mer. On s'amusait bien, Sarko venait de se faire élire, mais pas par nous, on était loin ! C'était cool. On venait de se mettre une balade tranquille entrecoupée d'un bivouac en grotte à neige pour enfin prendre pied sur le plus haut sommet du quartier. 8h du mat', pas de vent, on trouve -bien sûr- un exit qui nous convient et là, on le sait on en est sur, on va se payer une tranche qui restera gravée dans nos mémoires. On est là, exactement à l'endroit voulu et au bon moment. C'est pour ça qu'on a fait tout ce chemin depuis la France.
On s'équipe, rien ne presse, les vents catabatiques nous offrent ce cadeau, on sait qu'ils vont attendre encore un peu pour nous laisser en profiter à fond. Comme d'hab' dans le coin, on a tellement de vêtements et de matos d'alpinisme sur nous qu'on est obligé de s'aider mutuellement pour s'équiper. Et zyva que que tu m'aides à enfiler le bras droit. Attend... t'as du dyneema qui empêche de fermer ton aile de jambe, bouge pas, un doigt dans le cul va résoudre ton problème. etc, etc. Une scène de préparation tout à fait gaie (-) comme nous en avions l'habitude lors des préparations sur les exits du coin. Juste, celui-ci était peut-être encore plus laborieuse, avec encore plus de matos à ranger dans la wing suit que d'habitude, ce qui était normal après tout puisqu'on était sur le sommet le plus complexe à atteindre.
Yes, tout le monde y est, on va pousser, on va se mettre 1800m énorme dans ce fjord tout gelé, avec la mer... ferme, tout en bas. Décompte, on par à 4... parce qu'on le vaut bien.
Un vol hors du temps, dans un cadre juste parfait. Des secondes d'éternité comme auraient résumés d'hypothétiques journalistes essayant d'imaginer ces sensations-là.

A l'approche du tirage, je suis nickel, on s'est mis une bonne tranche et le jeu doit maintenant cesser. J'envoie alors mon geste, comme d'hab', je connais ma combar par coeur. Et là... incroyable, je n'arrive pas à aller jusqu'à ma poignée. L'engoncement, le froid, le temps d'effort sur ce gros vol... bref, je le sens je le sais ce n'est même pas qu'un problème de force qui me manque, le vent qui gonfle mes caissons de bras m'empêche d'arriver jusqu'à ce qui concentre toutes les particules de mon corps et de mon esprit à cet instant. 2", 3", ça devient trop long. A Baffin, avec de la banquise en référentiel de fin de vol, on tire naturellement haut, heureusement. J'en suis rendu à me remettre en vol au moment où je me fais cette réflexion à la con : "je vais quand même pas me tuer connement, comme ça, aujourd'hui"...
C'est avec toute la force de ma volonté que le second geste fut le bon et que ma poignée me tomba enfin sous la main.

Voilà, si j'ai eu envie de vous raconter aujourd'hui cette vieille histoire c'est parce que des évènements plus ou moins récents m'ont rappelé cet épisode et m'amènent à une interrogation.
Ne pensez vous pas que c'est jouer bien près des limites, à chaque fois, si une simple épaisseur de vêtement supplémentaire peu suffire à ne pas trouver son extracteur ?
Bien sûr, l'exemple que je viens de vous raconter est particulier puisque je l'ai vécu dans un lieu hors norme. Mais l'hiver, aujourd'hui, quand nous sautons avec plus de couches de vêtements que d'habitude, avec des combars beaucoup plus airlock qu'avant, qu'il faut contrer avec conviction pour atteindre son extracteur en fond de sac ; sommes nous bien sûr de maitriser parfaitement l'ensemble des phases de notre vol, à chaque fois ?

Cette réflexion n'a pas pour but de remettre en cause quelconques fabricants bien évidement, leurs produits ne sont que ce que nous en faisons bien sûr, mais juste de se demander si nous ne sommes tout simplement pas déjà en train de nous en servir aux limites de nos capacités techniques à nous, constamment. Nous ne sommes finalement, tous, que de petits amateurs avec 2 ou 300 sauts par an pour les plus assidus. A se demander si la plage de tolérance de ces combars n'est pas trop restreintes pour le faible niveau que les meilleurs d'entre nous sont capable d'atteindre.
Comme si on était tenu de se servir de notre voiture daily (de tous les jours) comme d'une F1, parce que le code de la route nous l'impose. 

[le blond]

Tu fais le malin parce que ta voiture EST une F1.... petit canaillou !!!

+ sérieusement, je suis globalement d'accord avec toi. Au même moment que "l'évènement" auquel tu fais allusion, j'étais moi même à l'exit du + haut saut du Vercors  , avec une Apache également  , en train de me dire que je me trouvais un peu engoncé avec mes multicouches de fringues...
Quelques réflexions chatouillent mon neurone, les voicis en vrac:

 - certes nous jouons avec les limites des ailes (que nous ne maitrisons pas, je te l'accorde sans concessions), mais ne joue-t-on pas autant en tirant a 50m sol en lisse??? Ou en partant à 5 en lisse d'une falaise de 350m??

 - les voitures du quotidien (à part bien sûr ton bolide!), qui les maitrise correctement?? Je parle pas de "pilotage", mais de simples freinages d'urgence, de simples notions de trajectoires, d'adhérence, de mécanique. Pas grand monde malheureusement... Les véhicules modernes, probablement considérés il y a 70 ans comme des monstres de course, sont gérés à vive allure par des gens qui ne les maitrisent pas. Peut-on pour autant restreindre le libre droit de circuler? Peut-on de même restreindre l'envie de voler dans des wingsuit? Une prévention accrue me semble le seul remède dans les 2 cas.

 - On claque 1500$ pour des ailes et on veut pas craquer 200€ pour des fringues techniques adaptées (fines, compressibles, tout çà...)

 - Les dernières génération d'ailes sont si spécifiques au Base qu'on ne peut pas s'entrainer avec depuis un avion. Ce principe est déjà abérrant, et pourtant je compte moi même parmis les adeptes de la secte des tapis volant à barrette de poitrine intégrée... Sachant que le test se ferai du caillou, j'ai pris mes dispositions pour que çà se passe au mieux (bavardages autour d'une mousse, gros briefing vidéo pour les départs, réflexions sur le geste d'ouverture, comparaison avec la X-Bird...)

 - et pour faire suite à ce dernier paragraphe, et à ce qu'il t'es arrivé sur la terre des pingouins, je pense que le fond du problème n'est pas de jouer avec les limites, mais + de savoir identifier les dangers inhérents à ces limites. Autrement dit, se rendre compte qu'on est boudinés par nos vêtement et faire + de poignées témoins à l'exit, ou se rendre compte que le vol va être tendu et se dire "dès que j'approche ma hauteur de tirage je dégaine" au lieu de gratter un peu +, ou encore se rendre compte que la hauteur ne permettra pas une bonne séparation en lisse et donc ne pas sauter à plusieurs, etc, etc... Un homme averti en vaut 2, alors certes çà pose des problèmes de charge alaire  , mais identifier un danger potentiel c'est déjà un immense blond bond vers la sécurité.

Posez vous 5min à l'exit avant de sauter, et concentrez vous sur "qu'est ce qui pourrait merder?" et "est-ce qu'on a tout mis en oeuvre pour que çà merde le moins possible?"
Après si çà part en couille parfois c'est le destin, mais jouer c'est avant tout connaitre les règle du jeu. Et anticiper un incident, même quelques secondes avant qu'il ne survienne, c'est déjà l'avoir à moitié résolu!!!

Bons sauts à tous, et redoublez de vigilance avec les gros sauts montagne qui reviennent!

Blondeur nature

[Mazuer Ben]

Salut Blondin,
Je reviens après ton post pour préciser le mien. Oui et encore oui à ce que tu dis toi, mais je m'apperçois que la comparaison que j'ai utilisé à la fin n'est pas très claire et je m'en excuse. La seule question que je voulais soulever, vraiment la seule, concerne la conception même des W.S et c'est tout.
Est-ce qu'elles n'ont pas une plage d'utilisation trop étroite si leur limite rationnelle de sécu se trouve mise en défaut par un simple engoncement par exemple ?
Un peu comme si les constructeurs d'autos nous proposaient des engins accessibles (1500 $, ça l'est) mais ne pardonnant pas les simples erreurs de jugement, exactement comme une F1 pour nous conducteurs lambda qui ne sommes pas des pilotes pro.
Alors bien sûr l'erreur de jugement peut tuer en Base comme sur la route, mais admettons que mettre un pull de plus que les autres fois n'est pas à proprement parler une faute "grossière".

Voilà, je viens de voir qu'il y a eu un accident hier à Lauter, RIP l'ami.

[chatard]

merci pour se partage d'expérience, Ben ton probléme a Baffin c'était avec une combi font de sac ou décaler ?
y a t'il déjà eu des soucis du a l'engoncement avec les poignée décaler?
merci

encore une année qui débute pas terrible...

[Mazuer Ben]

C'était une Matter, fond de sac à l'époque.
La poignée déportée peut poser d'autres problèmes (complexité du système, de la mise en place...), mais aujourd'hui, séparer le système d'extraction du container qui peut se déplacer dans le dos me semble être une meilleure solution. L'idée étant bien sûr de tomber facilement et à coup sûr dessus, parce que facile à atteindre et toujours à la même place...
Qu'en est-il du système de Simon ? Un truc comme le sien, mais épuré (?? c'est possible ??) semble idéal ?

[le blond]

Sorry Ben, vu comme çà effectivement je ne peux qu'acquiescer... (et sans engoncement de fautes d'orthographes mon Bras Noir  )

Je constate avec quelques craintes que mon jouet surtoilé se révèle sans nul doute très exigeant. Et c'est vrai que concernant les départs notamment, la moindre disymétrie, le moindre défaut de cabrage, ou encore une poussé un peut faiblarde, et c'est la grosse tête en bas assurée... Heureusement grâce à mon niveau exceptionnel je suis à l'abris    !!

Non, sans rire, je pense comme toi que les aéronefs à très hautes performances, quels qu'ils soient (parapentes, avions, wingsuit, kites), nécessite un temps d'entrainement long et minutieux, que nous ne leur accordons pas, ou rarement.
Je saute sans arrêts, je viens de la X-bird (assez similaire en construction et en vol), et pourtant je flippe encore avec l'Apache, car elle ne pardonne pas grand chose. Après en vol pur cette aile reste une merveille de laquelle je ne compte pas me séparer  (et pas le moindre soucis de tirage pour l'instant, même chaudement habillé)

Puisse tes saintes paroles et tes craintes toucher le maximum de gens, et surtout leur faire prendre conscience du danger! Amen
 

[simonp]

C'était une Matter, fond de sac à l'époque.
La poignée déportée peut poser d'autres problèmes (complexité du système, de la mise en place...), mais aujourd'hui, séparer le système d'extraction du container qui peut se déplacer dans le dos me semble être une meilleure solution. L'idée étant bien sûr de tomber facilement et à coup sûr dessus, parce que facile à atteindre et toujours à la même place...
Qu'en est-il du système de Simon ? Un truc comme le sien, mais épuré (?? c'est possible ??) semble idéal ?

Vaste sujet... J'ai temporairement arrêté la WS pour me concentrer sur le track, parce que ca me parle d'avantage pour l'instant et que j'ai encore énormément à apprendre. Un peu plus d'un an de réflexions après avoir essayé d'améliorer le système d'extraction pour les WS, le sujet me travaille toujours mais j'ai un point de vue plutôt tranché sur les limitations des bouts de bache cousus ca et la.

Il y a une vingtaine d'années, certains ont banni les morceaux rigides de ce qui est devenu la wingsuit. Avec la V3, on a réussi à atteindre 2.5 de finesse avec des ailes qui se dégonflent naturellement quand on les laisse partir. Ca demande une bonne forme physique et c'est fatiguant sur les longs vols.

Voler mieux,voler plus loin...

Et voila qu'on réinvente la rigidité en trichant un peu, puisque celle-ci vient maintenant d'un sur-pressurisation des ailes. Le petit zip permettant de faire varier celle-ci dans les ailes de Tony nous montre vite nos travers. On essaye en position mi-ouvert, et on les ferme quasi ou completement après 3 sauts et demi parce qu'on comprend que ca vole plus facilement, mieux, et avec moins d'effort! Tout ca pour un dixième de point de finesse qui nous fait passer rik-rak entre deux arbres pour arriver dans la vallée d'à côté et tracer une nouvelle ligne...

Il n'y a pas de vérité ni de limite absolue à respecter. Pour ma part, les "mono-ailes" soit toutes les ailes qui présentent un allongement supplémentaire à la hauteur des hanches (joignant l'aile de bras a l'aile de jambes) sont inadaptées à la pratique du saut de falaise avec un extracteur en fond de sac (ou de manière générale, un extracteur à attrapper quelquepart sur l'extrados).

Il y aura des évolutions, des essais et des erreurs, et je reviendrai sans doute à ces jouets par la suite. Pour l'heure avec une WS, et même en gardant 300m supplémentaires, j'estime que je ne suis pas capable de reproduire le niveau de fiabilité que j'ai en tracksuit.

Vraisemblablement, de nouveaux sports émergeront et on volera de vraies ailes rigides de falaise pour atteindre des performances qui deviennent maintenant difficile à atteindre en wingsuit. On recherche actuellement une plage d'utilisation à mi-chemin entre les grosses baches et les plus petites ailes de speedriding. Barry et Beni on réussi à pousser ces deux types de pratiques avec brio jusqu'à ce qu'ils se rejoignent - reste maintenant à développer un matériel adapté à ces trajectoires. Avec de la marge. Des deux côtés.

Pour le reste, le système d'extracteur déporté en bout d'aile de bras, tel qu'il est actuellement et malgré un petit peu de complexité supplémentaire, reste relativement simple et est à mes yeux moins variable que le BOC ou legpouch.
Si quelqu'un a une V3 et la possibilité de le tester de manière statistiquement significative, avec une caméra, et dans toutes les configurations possible (sur le dos, en décrochage, instable, et en avalant un Yop) j'investirai volontiers du temps dans le montage et l'évolution du système. C'est envisageable sur une aile plus grosse aussi, mais impossible à tester de manière safe depuis une falaise et sans plan B.


...mauvais vols, bon tirages! : )

[Laurent Filoche]

Comme d'habitude je n'ai aucune légitimité ou presque à intervenir dans ce genre de discussion mais plusieurs remarques me viennent à l'esprit à la lecture du texte de Benjamin.

En vrac :

- En terre de Baffin, les températures devaient être particulièrement basses, le froid n'aide pas du tout à avoir une bonne tonicité musculaire (étirement plus court que d'habitude, sensations différentes, force moins élevée, ...). A moins d'un échauffement minimum des épaules, pectoraux et bras avant le saut, ça peut effectivement handicaper pour aller en fond de sac (surtout si plusieurs couches de vêtement rendent l'accès encore plus délicat).

- Le facteur vent ajouté là-dessus pendant le vol n'arrange rien -> refroidissement encore plus rapide.

- Sauter avec une aile chargée (corde ? dégaines ? ...) ne doit pas trop faire partie du cahier des charges des constructeurs (mais je me trompe peut-être). Du coup c'est difficile de poser les bases d'une discussion générale wingsuit sur un saut qui semble rassembler des conditions très particulières.